contribution à l’enquête publique sur le Plan de déplacement urbain
Le Plan déplacement tel qu’il est proposé aujourd’hui à la procédure d’enquête publique est conforme aux délibérations inscrites au dossier proposé. Pour autant nous nous étonnons que ce document soit publié avant même que le Schéma de Cohérence Territoriale de la Communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe n’ait été finalisé.
Le code de l’urbanisme pourtant définit une hiérarchie entre les différents documents d’urbanisme, plans et programmes, et un rapport de compatibilité entre certains d’entre eux. Ce rapport de compatibilité exige que les dispositions d’un document ne fassent pas obstacle à l’application des dispositions du document de rang supérieur.
Ainsi, en application de l’article L111-1-1 du code de l’urbanisme, le SCOT doit être compatible avec les dispositions particulières aux zones de montagne et au littoral prévues aux articles L145-1 à L146-9, les chartes des parcs naturels régionaux et des parcs nationaux, le SDAGE, les SAGE. En outre, le SCOT est compatible avec les directives de protection et de mise en valeur des paysages (article L122-1-12), le plan de gestion des risques d’inondation (L122-1-13). Le PLU doit être compatible avec le SCOT et le schéma de secteur (L111-1-1), le PDU et le PLH (L123-1). SCOT et PLU doivent être compatibles avec les projets d’intérêt généraux (L121-2) et les plans d’exposition au bruit des aérodromes (L147-1).
Le code de l’urbanisme prévoit que les documents d’urbanisme prennent en compte un certain nombre d’autres plans et programmes. Il s’agit notamment (en application de l’article L111-1-1 du code de l’urbanisme) de nouveaux plans ou schémas rendus obligatoire par les lois issues du Grenelle de l’environnement :
- les plans climat énergie territoriaux que doivent élaborer les collectivités (Régions, Départements, communes et intercommunalité de plus de 50 000 habitants d’ici le 31 décembre 2012),
- les schémas régionaux de cohérence écologique élaborés conjointement par l’Etat et la Région[1], les documents stratégiques définissant les objectifs de la gestion intégrée de la mer et du littoral pour chacune des façades maritimes.
- Il s’agit aussi des schémas régionaux de développement de l’aquaculture marine instaurée par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de juillet 2010. Cela concerne également pour les SCOT les chartes de développement des Pays.
Ce rapport de compatibilité est particulièrement importante dans le cadre des politiques publiques d’atténuation du changement climatique et de préservation de la qualité de l’air[2]. En effet une des six orientations de la loi sur l’air[3], reprise dans la loi SRU[4], concerne la voirie. Elle préconise que les PDU portent sur « l’aménagement et l’exploitation du réseau principal de voirie, d’agglomération, afin de rendre plus efficace son usage, notamment en l’affectant aux différents modes de transport et en favorisant la mise en œuvre d’actions d’information sur la circulation… »
Nulle part n’est indiquée ni recommandée la construction; de nouvelles voiries ou l’extension de voiries existantes. Et pourtant, le PDU soumis à enquête publique, succombe à la frénésie des rocades, de nouveaux ponts, de boulevards urbains de contournements, censés réduire ou fluidifier la circulation, protéger le centre ou l’hyper-centre contre les flux de transit.
A croire que le plan proposé par la CREA va à rebours des orientations définies par le législateur. Instaurés par la loi d’orientation sur les transports intérieurs en 1982, et rendus obligatoires par la loi sur l’air de 1996 (Loi LAURE), les PDU constituent, en principe, un outil cadre pour impulser des politiques soutenables de déplacements : diminuer la circulation automobile, développer l’usage es transports collectifs, de la marche et du vélo, améliorer la livraison des marchandises, et plus globalement, de permettre à chacun de se déplacer en toute sécurité dans une ville plus agréable à vivre. Le Grenelle de l’environnement a donné aux PDU une nouvelle dimension qui dépasse les préoccupations classiques de gestion des infrastructures de transport pour inscrire la mobilité au coeur des préoccupations sociales, économiques et environnementales conformément au cadre général proposé par .le paquet énergie climat adopté par le Parlement européen le 12 décembre 2008[5].
Rien de tout cela dans le PDU de la CREA. Bien au contraire, tout porte à croire que les anciennes logiques continuent ici de prévaloir. Ainsi peut on lire des assertions qui nous surprennent :
- « il ne faut pas opposer les modes, mais favoriser celui qui est le plus performant dans chaque cas étudié« , sous-entendu : les transports en commun sont performants en centre ville et la voiture hors centre ville ;
- « il ne faut pas obligatoirement faire traverser les centres ville« , sous-entendu ; il faut dévier la circulation de transit, donc construire des rocades.
Le bilan du précédent PDU devait pourtant inviter la communauté d’agglomération à une plus grande attention aux projets pharaoniques. Le trafic n’a jamais été dérouté malgré les déclarations d’intentions. Au titre de l’achèvement des rocades, la seule réalisation majeure du précédent PDU est le 6e franchissement et son raccordement à la RN 138 qui ne peut être considérée comme une rocade mais comme une pénétrante de plus afin d’améliorer « la desserte du centre depuis l’autoroute A 13« . Quant au barreau Sud chacun sait aujourd’hui qu’il n’accueille pas le trafic attendu… ce qui confirme les analyses des associations de protection de l’environnement.
Comment s’étonner dès lors du peu d’empressement de la majorité des communes de la CREA à se prononcer sur ce document fondamental pour l’avenir de notre agglomération et la nécessaire réorientation des politiques publiques en matière de transport et de mobilité ? Seules 26 communes sur 70 ont rendu un avis favorable à la proposition du conseil communautaire, 3 un avis défavorable et une s’est abstenue. Moins d’une commune sur deux s’est donc exprimée avant le début de l’enquête publique. La société civile n’a même pas été sollicitée à l’exception de la chambre de commerce et d’industrie…
D’aucuns peuvent reconnaître là un défaut de concertation. Défaut de concertation avec les communes mais aussi défaut de concertation avec les habitants. Si ce n’est les Cafés du SCOT[6] aucun dispositif n’a été mis en œuvre pour élaborer un diagnostic partagé et recueillir les opinions du public. Le document sur lequel nous sommes amenés à nous exprimer a été élaboré par les seuls services de la CREA sans la mise en œuvre de procédures participatives pourtant favorisées depuis le vote de la récente loi sur la participation du publique[7].
Cette faiblesse n’est pas étrangère à la fragilité du contenu du PDU. Un plus grand souci s’associer le plus grand nombre à l’orientation des politiques de déplacements pour la décennie à venir aurait permis d’élaborer un document qui satisfasse davantage les besoins des habitants mais aussi les attentes des services de l’Etat.
Or force est de reconnaitre que l’avis de l’Autorité environnementale dont nous déplorons l’absence dans le dossier soumis à enquête publique émet des remarques sévères à l’encontre du PDU[8] :
- sur le diagnostic environnemental
- sur le bruit
- sur l’articulation avec le SRCAE
- sur le caractère trop général des prescriptions
Nous ne pouvons que souscrire à ces remarques. Mais ce ne sont pas les seules qui peuvent être formulées :
- L’intention de constituer une éco-communauté telle qu’elle est développée dans le PADD est louable. Mais nous voyons une contradiction entre cette orientation d’inspiration écologiste et le modèle de développement économique proclamé par la CREA[9].
- Nous remettons clairement en cause la définition de la situation géographique de l’agglomération. Elle ne saurait se résumer à une « position clé, corridor de développement économique et touristique entre Paris et l’estuaire à l’intersection des axes routiers et ferroviaires du Nord-Ouest, sur l’axe Seine. » La CREA est un espace humain, culturel et économique qui doit envisager son devenir non seulement comme une « annexe » du Grand Paris mais comme un pôle structurant de l’Arc Manche relié prioritairement aux régions voisines du Nord et du Sud.
- Nous serons très attentif à la mise en œuvre effective d’une politique de transition qui permette à l’agglomération d’aborder les défis du XXIe siècle. « Ainsi, l’accompagnement des mutations et du renouveau industriels, les actions en faveur de l’implantation d’activités économiques innovantes ou tertiaires, le soutien au développement du tourisme et à la filière agricole de proximité constituent des leviers efficaces pour renforcer l’attractivité du territoire et offrir un cadre de vie agréable et de qualité. »
- Nous ne pouvons que nous satisfaire de lire que « La CREA s’étend sur un espace géographique vaste et diversifié qui nécessite d’adapter. les stratégies de développement urbain aux spécificités du territoire. » Mais faut il encore que ces intentions donnent lieu à une stratégie audacieuse en matière de mobilité à l’échelle d’une agglomération qui pour l’essentiel reste rurale et agricole.
- Nous regrettons que les 5 enjeux majeurs de transformation arrêtés par la délibération du Conseil Communautaire du 20 décembre 2010 ne citent pas les enjeux environnementaux, climatiques et sanitaires :
- assurer la cohérence entre mobilité et développement urbain ;
- faciliter la mobilité des périurbains ;
- développer l’usage des transports en commun : prendre en compte des facteurs d’attractivité ;
- repenser l’équilibre des différents modes de déplacements pour un partage harmonieux et convivial de l’espace public urbain ;
- mener une réflexion sur le transport de marchandises et les politiques de livraison.
Cela est d’autant plus préoccupant que les analyses d’Air Normand, les études de l’Agence Régionale de Sante, voire des travaux de l’OMS mettent clairement en cause l’impact du trafic routier urbain sur la santé publique. Quant aux aspects climatiques, ils sont clairement identifiés par l’Observatoire régional Climat énergie qui rappelle la forte intensité carbone de l’économie et des modes de vie normands.
- Nous regrettons que le bilan du PDU (2000-2010) soit aussi superficiel. Même si le dossier soumis à enquête publique reconnaît « le faible niveau d’atteinte des objectifs« , le retour d’expérience est réduit à sa plus simple expression. Le bilan est largement confondu avec le diagnostic sans que l’on comprenne pourquoi les objectifs précédents n’ont pas été atteint.
- Les cartes des pages 25-27 qui présentent un état des lieux des déplacements dans la CREA ne font pas figurer le trafic marchandise et ne permettent pas d’apprécier les enjeux d’usage de la voirie à l’échelle de la CREA. Ne figurent pas non plus les verrous routiers et les segments touchés par la saturation du trafic.
- La carte de la page 31 sur les transports en commun ne présente pas les lignes de car qui structurent les espaces périurbains de la CREA.
A croire que la voiture est le seul moyen de transport pour les habitants de ces secteurs de l’agglomération.
- La manière dont sont abordées les mobilité douce confirme ce privilège accordée à l’automobile. Ainsi la partie consacrée au vélo est elle surprenante. le diagnostic reconnait que « les aménagements cyclables restent diffus », l’état des lieux est plus que lacunaire. Les quelques chiffes cités couvrent habilement l’indigence de la situation des cyclistes sur le territoire de la CREA. Les données qui accompagnent cet article de Terra Eco permettent de prendre la mesure du retard local[10]… même au Mans il y a plus d’aménagements cyclables que dans toute la CREA.
- la marche à pied est expédié en une dizaine de ligne. C’est à la mesure de l’attrait des édiles locaux pour les aménagements piétonniers des zones de chalandises. Quelques chiffres ne peuvent là aussi cacher une situation accablante : « Mode de déplacement, très utilisé, il représente 26 % des déplacements. Les personnes interrogées marchent essentiellement pour les déplacements secondaires (24%). Seulement 5% des déplacements à pied sont effectués pour le motif domicile-travail. » Le « rouennais » reste un automobiliste envers et contre tout !
- Beaucoup de mots pour pas grand chose sur l’intermodalité… 7 parcs à vélos, 15 parkings relais d’une capacité de 300 places, pour une agglomération d’un demi million d’habitants, ce n’est décidément pas grand chose.
- Les problèmes posés par la périurbanisation sont largement sous évalués. Et le texte abuse des euphémismes : « la concentration de l’emploi couplée à un desserrement de l’habitat contribue à une augmentation des distances de déplacements et à une dispersion des flux de mobilité. L’organisation de réseaux de transports collectifs classiques performants est donc rendue difficile par cette dispersion (en service rendu, en charge financière pour les budgets publics et en émissions de CO2 par voyageur transporté). » Aucune carte ni analyse chiffrée ne vient enrichir ce diagnostic sommaire. A croire que ce PDU refuse de regarder les principaux problèmes de déplacement qui se posent ici.
- La qualité de l’analyse n’est guère meilleure lorsqu’il s’agit d’évaluer les trafics de marchandises. Une fois encore la route est à l’honneur :
Sans données complètes à ce jour[11], on peut néanmoins noter :
- d’une part, que l’agglomération échange beaucoup avec les territoires extérieurs ;
- d’autre part, que le transit représente 20% de l’ensemble des flux.
Ces constats posent nécessairement la double question de l’accessibilité des poids lourds à l’agglomération et des itinéraires de transit compte tenu du réseau d’infrastructures.
Les principaux itinéraires de l’agglomération supportant des trafics de poids lourds sont :
- l’A28-RN28 (tunnel de la Grand Mare)-Pont Mathilde-RD18E avec des trafics moyens oscillant entre 5 500 et 7 000 poids lourds par jour ;
- l’A150-Avenue du Mont Riboudet-Quai Ferdinand de Lesseps avec des trafics moyens oscillant entre 4 200 et 5 000 poids lourds par jour.
Si les vélos et les piétons ne saturent pas le réseau de transport de la CREA, on doit bien reconnaître le caractère massif du trafic routier de marchandises.
Cette réalité n’est pas expliquée mais seulement justifiée :
Parts modales 2008 des pré et post acheminements terrestres sur l’ensemble du GPMR
– Ferroviaire : 9,8%
– Fluvial : 12%
– Routier : 66,3%
– Pipeline : 12,2%
Les trafics de pré/post-acheminements représentent 63 % du trafic routier de l’agglomération rouennaise. Ils représentent 9,5 millions de tonnes annuelles.
D’emblée le parti pris du PDU apparait dès les premières pages : il ne s’agit nullement d’aménager la ville pour l’adapter aux défis du XXIe siècle mais seulement de satisfaire des intérêts contemporains quelque soit l’absurdité de leurs choix en matière de transport.
Rien n’est dit sur le fret ferroviaire dans une agglomération qui compta un temps sur son territoire un des plus grands triages de France. Rien n’est dit sur le trafic fluvial. Rien n’est dit sur l’intermodalité en particulier dans la zone portuaire… Rien n’est dit sur les transports de matières dangereuses et en particuliers sur le trafic de matières radioactives qui sillonnent l’agglomération à longueur d’année.
- Le rail est décidément fort mal traité. La partie du diagnostic consacrée aux transports collectifs tend à minorer les capacités du Réseau ferré et des usages en net progression :
Depuis la régionalisation des transports collectifs, le réseau ferroviaire d’intérêt régional est en capacité de répondre à des déplacements en « cabotage » grâce à un maillage de haltes urbaines sur le territoire de la CREA, permettant d’offrir des temps de parcours performants de nature à concurrencer la voiture.
Aussi, au-delà des fréquences et des amplitudes qui trouvent une limite par la configuration actuelle du réseau, les gares sont de véritables portes d’entrée sur le réseau ferroviaire. Néanmoins, elles restent aujourd’hui insuffisamment connectées au tissu urbain et ne sont pas bien articulées avec les autres réseaux de déplacement impactant leur accessibilité, leur lisibilité et leur compétitivité.
Quand il s’agit de développer un discours positif sur le rail c’est pour saluer le projet mort-né de Ligne Nouvelle Paris-Normandie :
Aujourd’hui, l’axe Seine Paris-Rouen-Le Havre est à nouveau au coeur de différents projets de gouvernance et d’infrastructures, en premier lieu desquels la Ligne Nouvelle Paris-Normandie (L.N.P.N.) qui réduira les temps de parcours entre la région capitale et l’aval du fleuve et permettra une amélioration des déplacements du quotidien à l’intérieur de l’axe Seine. C’est aussi l’échelle stratégique du développement économique à long terme de l’agglomération capitale de Haute Normandie.
On aurait attendu un peu plus de précision dans l’état des lieux et d’audace dans les orientations à l’heure où l’accident du Pont Mathilde a réconcilié bon nombre d’habitants de la CREA avec les TER. L’expérience actuelle prouve mieux que toute modélisation que les axes ferroviaires sont un moyen idéal pour drainer les habitants des pôles de vie vers le coeur d’agglomération.
Viennent à présent les fiches actions qui déclinent en mesures concrètes les choix politiques du conseil communautaire :
Fiche action 1.A : le schéma en dit plus long que le texte. La réalisation d’un anneau ferroviaire sur la boucle de la Seine de Rouen à Elbeuf est une nécessité impérieuse qui permettrait de développer un tram-train et donc une desserte de qualité. Il est à regretter que le deuxième franchissement ferroviaire de la Seine ne soit pas envisagé à l’échelle de la décennie à venir. On peut aussi regretter que rien de très précis ne soit dit sur l’axe Nord-Est vers Buchy et Amiens. Il est impératif à l’échelle de la CREA de sanctuariser les voies existantes et de concevoir de nouveaux aménagements non seulement pour le transport voyageur mais aussi pour le fret. Aucun établissement industriel sur le territoire de la CREA ne devrait être dépourvu d’accès ferroviaire…
Fiche action 1.B : le développement du transport à haut niveau de service est un enjeu majeur. Reste que les propositions de la CREA sont insuffisantes voire inappropriées. Pour les Plateaux Est, il conviendrait d’envisager une ligne qui descende de Franqueville Saint-Pierre vers Darnétal plutôt qu’un tracé par Saint-Paul. L’Arc Nord Sud n’a pas de raison d’être si ce n’est d’intégrer définitivement l’aire elbeuvienne dans l’agglomération. Enfin il conviendrait d’envisager des aménagements qui relient les périphéries plutôt que prioriser quelques radiales sans oublier évidemment d’élever le niveau de services globales des lignes déjà existantes. Il ne faudrait pas que le PD U succombe à un « effet TGV » c’est à dire que les infrastructures de haute capacité concentrent les moyens et les ambitions.
Fiche action 1.C : le projet de contournement Est de l’agglomération comme l’a prouvé le débat public de 2005 est une chimère anachronique qui n’apportera aucune solution à l’engorgement routier de l’agglomération.
Les autres projets routiers sont tout autant contestables dans la mesure où l’urgence n’est pas de proposer de nouvelles infrastructures pour les voitures mais de favoriser des reports modaux. Ce serait un premier pas sur la voie d’une stratégie de résilience déjà en vogue dans d’autres agglomérations.
Fiche action 2.A : nous ne disposons pas d’information suffisamment détaillées pour émettre un quelconque avis… manquent en particuliers des cartes, des données quantitatives, des objectifs et des indicateurs et même un phasage.
Fiche action 2.B : cet objectif est en effet pertinent, reste à définir où, comment et à quel prix. On est droit de s’étonner que le PDU n’apporte pas plus de précision notamment en listant les gares en question. Des formules telles que » Au-delà des interventions dictées par des urgences opérationnelles, les autres aménagements seront concrétisés et priorisés en fonction des résultats d’une étude de programmation » donnent à voir l’ampleur du travail qui reste à accomplir !
Fiche action 2.C : un retour d’expérience du précédent PDU s’imposait sur ce point. On est en droit de douter de la capacité de la CREA pour inciter les automobilistes à utiliser des parkings relais et même à garantir l’usage dans la durée de ces équipements alors que le parking du pôle d’échange a été reconverti en parking du Kindarena…
Fiche action 2.D : intention louable mais absence complète d’indications pour sa mise en œuvre…
Fiches action 3 A.B.C.D.E.F : là encore, il est difficile de commenter les propositions faites. Le caractère généraliste des préconisations et l’abus de formules ambigües empêchent la formulation d’un avis circonstancié. Une fois encore la carte en dit plus long que le texte sans apporter de précision sur les stratégies effectives qui seront mises en œuvres pour atteindre les objectifs visés.
Nous regrettons que rien ne soit envisagé pour le secteur occidental de l’agglomération. Nous regrettons, comme nous l’avons évoqué précédemment, qu’aucune liaison périphérique ne soit envisagée si ce n’est au coeur de l’agglo.
Nous regrettons que l’intermodalité rail-bus ne soit pas au coeur de la mise en œuvre de l’offre de transports collectifs. Nous regrettons que l’aménagement de sites propres ne soit pas étendu de manière à bloquer les flux automobiles vers le coeur d’agglo et les centres des pôles de vie.
Fiche action 4 A.B.C : une fois encore les ambitions affichées sont intéressantes mais les moyens proposés pour les atteindre très flous. « Il s’agit d’améliorer l’offre en transports collectifs au-delà de la partie centrale de l’agglomération. L’objectif est de créer une alternative à la voiture individuelle, notamment pour les déplacements entre les communes périurbaines et le coeur d’agglomération, d’inciter au report modal et de poursuivre un rééquilibrage du niveau de l’offre en transports collectifs entre la partie centrale de l’agglomération et les communes périurbaines. »
Reste cependant une remarque : le problème n’est pas tant d’améliorer l’offre de transport en commun pour relier les espaces périphériques à la CREA mais de développer l’offre de transport en commun pour desservir les espaces périphériques de la CREA. Le transport à la demande ne peut être la seule réponse aux besoins de mobilités sur les plateaux Est et sur la boucle de la Seine. La notion de « ligne de rabattement » proposée par la carte de la page 83 mérite d’être explicitée : s’agit-il de nouveaux axes dévolus au tout voiture où d’aménagement de transports en commun à haut niveau de service ?
Fiches action 5 « favoriser l’intensification urbaine le long des axes de transports collectifs structurants« : Cette orientation est bienvenue et nous nous félicitons de voir un engagement clair de la CREA pour une refonte de l’urbanisme à l’échelle du territoire de l’agglomération[12]. « À un problème de mobilité ne correspond pas toujours une solution de transports : le mode d’urbanisation peut aussi y répondre. la CREA propose de réorienter l’aménagement de son territoire vers un urbanisme plus dense et plus intense, axé sur les transports collectifs, permettant de régénérer les espaces urbains actuels et d’éviter de fragiliser davantage l’équilibre des espaces agricoles et naturels. » le problème est que les actions sectorielles qui sont sensées mettre en œuvre cette orientation ne sont pas à la hauteur des intentions :
- les indications pour organiser le stationnement privé sont inconsistantes. On aurait attendu des indicateurs clairs pour définir le nombre de places de stationnement pour l’ensemble du bâti alors que le PDU se contente de vagues intentions pour les bâtiments neufs résidentiels et tertiaires. D’aucuns peuvent être rassurés… la voiture gardera une place prépondérante dans l’espace urbain au cours de la prochaine décennie puisque les garanties apportées au stationnement permettent la pérennité de ce mode de transport.
- Le PDU tel qu’il est proposé favorise l’urbanisation des projets situés dans le périmètre d’attractivité des transports en commun, périmètre défini en coordination avec les réflexions conduites dans le cadre du S.C.O.T. Cela peut paraitre séduisant de prime abord. Mais si l’on rapporte cette prescription aux fiches actions précédentes, un biais apparaît nettement. Les fameuses « lignes de rabattement » évoquée plus haut sont en puissance des axes d’urbanisation qui viendront entamer les espaces ruraux périphériques de l’agglomération. or chacun sait que l’étape suivant amène l’urbanisation des espaces interstitiels entre ces axes[13].
Fiches action 6 « promouvoir un aménagement du territoire favorisant la sobriété énergétique dans les déplacements« : Ces fiches actions apparaissent comme nettement en deçà des enjeux climatiques et énergétiques. Pourtant, il n’existe pas d’autres alternatives pour protéger notre société d’aléas fatals[14].
Au-delà des variations ponctuelles de ses prix, beaucoup de facteurs poussent structurellement le cours du pétrole à la hausse.
– La consommation tend à augmenter à une allure soutenue, avec la part croissante des pays en voie de développement notamment asiatiques.
– Dans le même temps, les découvertes de nouveaux gisements se font plus rares que par le passé. De plus, il faut exploiter du pétrole de moins bonne qualité (impuretés), alors que la demande s’oriente vers l’essence et des produits distillés, qui demandent des traitements sophistiqués et chers.
Au total, l’augmentation annuelle de la consommation est supérieure à la découverte annuelle de nouveaux gisements depuis les années 80. Et en un peu plus d’un siècle, les habitants de la planète ont déjà consommé la moitié des réserves ultimes récupérables estimées de pétrole, accumulées dans le sous-sol pendant des dizaines de millions d’années.
Le Peak oil ou pic de production, c’est à dire le moment où la production de pétrole commencera à décliner, serait très proche pour les plus pessimistes : entre 2008 et 2015 ; pour ceux qui tablent sur le progrès technologique, permettant notamment d’accéder à de nouveaux gisements à un coût acceptable, il se profilerait à l’horizon 2040. Le franchissement du pic de production devrait provoquer une nouvelle envolée des cours du pétrole[15].
Dans tous les cas se fait jour la nécessité d’une transition énergétique maîtrisée : il s’agit d’éviter un avenir énergétique « sale, incertain et cher » (Claude Mandil, directeur de l’Agence Internationale de l’Energie).
Anticiper la déplétion du pétrole est en effet indispensable :
– pour des raisons de prix,
– pour des raisons de pollution et de nécessité de réduire les rejets de gaz à effet de serre, notamment le CO2, dans l’atmosphère. Ceux-ci ont augmenté de 70 % depuis 1970. Il s’agit de respecter le protocole de Kyoto, signé par 38 pays industrialisés en 1997, qui prévoit de réduire de 5,2 % les émissions de CO2 d’ici 2012 par rapport à leur niveau de 1990. L’Union Européenne s’est engagée à les réduire de 8%. Quant au gouvernement français, il a retenu l’objectif de diviser par 4 les niveaux actuels d’ici 2050.
– et pour des raisons d’indépendance énergétique de la France.
La consommation de pétrole se concentre de plus en plus sur les secteurs transport et pétrochimie où il est difficilement substituable à court et moyen terme : le pétrole représente 97 % de l’énergie consommée dans les transports (en France).
Voilà pourquoi il est urgent une articulation d’articuler le PDU et plus largement le SCOT de la CREA avec le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique[16]. Des expériences sont menées partout en Europe pour concevoir des démarches participatives de résilience[17]. La CREA ne saurait rester en dehors de ce mouvement de fond qui ouvre la voie vers une société plus sobre, plus juste et plus solidaire. Le problème est que les fiches action 6.A, 6.B, et 6.C ne sont pas à la mesure des enjeux.
- avant toute chose, il convient de proposer des mesures claires en faveur du report modal de la voiture individuelle vers les mobilités douces et les transports collectifs,
- ensuite, il s’agit de rompre avec l’urbanisme du tout voiture en limitant l’emprise des axes de circulation et des espaces de stationnement dans l’agglomération,
- Enfin, il convient de repenser l’aménagement du territoire pour rapprocher espaces d’habitations, espaces d’activité et espaces de loisirs, c’est à dire rompre avec un urbanisme monofonctionnel tel qu’il est à l’honneur sur notre territoire depuis 30 ans.
Fiches action 7 « favoriser la pratique de nouvelles formes de mobilité« : Nous considérons que « l’accompagnement de chacun vers le changement des habitudes en encourageant de nouvelles pratiques » est une orientation nécessaire. Pour autant les fiches action proposées ne retiennent pas toutes les déclinaisons d’une stratégie de résilience face au changement climatique et à la déplétion des ressources fossiles. Les nouvelles formes de mobilité qui s’imposent ne peuvent se résumer à une évolution des mobilités de chacun. Il est nécessaire de prendre en compte les problèmes d’acheminement et de production des biens et services consommés. Favoriser de nouvelles formes de mobilité implique de limiter les distances d’approvisionnement mais aussi le contenu carbone des produits consommés[18]. Ainsi convient-il de faire évoluer un grand nombre de pratiques et de comportements individuels pour garantir un bien être collectif et durable.
Voilà pourquoi, l’association Effet de Serre toi-même ! en lien avec le collectif Agglomération de Rouen en Transition (ART) préconise une stratégie de relocalisation de la production à l’échelle de la CREA. Les périphéries rurales de l’agglomération sont un atout extraordinaire pour développer une agriculture de proximité qui alimente en primeurs les marchés urbains. Ces espaces sont une richesse pour la CREA si tant est qu’elle sache y trouver les ressources nécessaires dans le respect des paysages et de la biodiversité.
Fiche action 8 « fédérer les acteurs autour d’une prise de conscience de l’environnement » : Les fiches 8.A et 8.B se distinguent par leur modestie. Si c’est une bonne chose que la CREA ait adoptée en 2012 un Plan locale d’éducation à l’environnement force est de reconnaître qu’on y insiste plus sur le jardinage que sur l’éducation à une mobilité durable[19]. Le problème n’est pas tant de « valoriser l’engagement des citoyens dans des pratiques écomobiles » mais d’articuler des mesures concrètes qui favorise le changement des comportements avec une information claire sur les enjeux.
Fiche action 9 « optimiser la place de la voiture sur la voirie et l’espace public« : Les fiches action du chapitre IV du PDU nous laissent un gout amère, à croire que les toutes les déclarations qui précèdent en faveur d’une évolution des comportements individuels ne sont que pure affichage. Le PDU de la CREA reste prisonnier du « tout voiture » allant jusqu’à rêver d’une gestion raisonnée des circulations automobiles grâce à quelques moyens techniques. Il s’agit là pour nous d’une orientation totalement illusoire qui peut priver les nécessaires reports modaux des moyens nécessaires pour favoriser une mutation effective des mobilités et des modes de vie. Par ailleurs aucun gadget technologique ne peut compenser les défauts d’un modèle de transport qui favorise les solutions individuelles et des flux par définition immaitrisables. A moins de promettre aux habitants des péages urbains et périurbains, les moyens proposés par la fiche 9.A n’apporteront à l’OSCAR pas plus d’informations que celles dont il dispose aujourd’hui… informations dont nous réclamons depuis longtemps la publication !
Bien qu’elle paraisse séduisante de prime abord, la fiche 9.B ne propose aucune solution effective aux enjeux de la décennie à venir. Il est très maladroit de préconiser une mise en cohérence de la voirie avec les trafics qu’elle supporte. Cela revient à céder à des pratiques actuelles insoutenables. Le dimensionnement de la voirie ne doit pas répondre aux pratiques d’aujourd’hui mais à des ambitions pour demain. Les axes structurants plutôt qu’être laissés au règne de la voiture individuelle doivent être dévolus à des sites propres ou à des lignes de tramway pour la desserte à haut niveau de service des pôles de vie voire des bourgs.
Fiches action 12 et 13 sur le transport et la logistique : Comme le présente une brochure déjà ancienne du Réseau Action Climat la politique traditionnelle des transports en France n’est pas adaptée aux enjeux qui se présentent à nous dès aujourd’hui[20]. Les fiches actions du PDU sur le trafic de marchandises ne dérogent pas à ces orientations anciennes sourdes aux analyses les plus récentes[21]. Selon nous il est urgent de rompre avec cette logique qui dilapide l’espace en zones logistiques inutiles (ZAC seine-Sud) et laisse les axes de circulation ouverts à un trafic poids lourds nocifs et dangereux.
Il est urgent comme le préconise la fiche action 13.B de favoriser les alternatives à la route au profit du rail, du fleuve et surtout d’une relocalisation de l’économie. Mais là encore manquent des objectifs chiffrés et des ambitions claires qui pensent les circulations à l’échelle de la région en prenant en compte le réseau existant sans chercher à capter des flux qui ne sont pas destinés à satisfaire les besoins des habitants de l’agglomération.
Reste un impensé de ce PDU, le nécessaire développement du rail et de plateformes multimodales rail-fleuve. Plutôt que d’engager les collectivités locales dans un projet incertain de contournement Est, nous aurions attendu du PDU de proposer une politique ferroviaire qui articule les besoins de mobilité des individus et les enjeux liés au transport de marchandises.
La disparition des vieux secteurs industriels rendue visible par la fermeture de la raffinerie Petroplus libère des espaces qui offrent des opportunités de reconversion économique qui nécessitent des infrastructures de transport durables. Là est la nouvelle frontière pour des aménagements ouverts vers un avenir à la fois sobre en énergie et efficient sur le plan logistique.
conclusion
L’association Effet de serre toi-même ! regrette l’empressement de la CREA a soumettre à enquête publique un document qui n’est pas finalisé.
Trop de propositions même si elles sont inspirées par de louables motifs restent embryonnaires voire floues. Il aurait été préférables de terminer le SCOT dans des délais correspondants aux prescriptions du Grenelle de l’environnement, avant de mettre sur le papier un PDU trop dépendant d’orientations passées aujourd’hui anachroniques.
Si les fiches action 10 et 11 privilégie les mobilités douces, l’essentiel du dossier soumis à enquête public reste prisonnier du « tout voiture » et d’une conception archaïque des mobilités et du transport de marchandise. Nous attendions d’une communauté d’agglomération qui prétend devenir une « éco-communauté » plus d’audace et de capacité à proposer des dispositifs inédits qui apportent des réponses locales à une crise globale énergétique et climatique.
Nous aurions attendu que les logiques anciennes dont la mise en œuvre explique la faible attractivité de l’agglomération soient remises en cause. Les orientations n’ont pourtant guère évolué depuis le précédent PDU voire depuis le SDAU de 1972 élaboré en pleine frénésie des Trente Glorieuses. Si on pouvait lire dans le document de 1972 que » quels que soient les efforts faits […], il est prévisible que le véhicule individuel restera majoritaire, ce qui suppose un effort important dans les aménagements routiers… » au prétexte d’une lutte inégale entre les transports collectifs et les transports particuliers. En 1999 les choses n’ont pas changé : « …ainsi, bien que les options soient nettement différentes quant aux modes de transport à privilégier, l’attention portée au réseau routier par le PDIJ est compatible avec les orientations du SDAU… »
Quels que soient les objectifs affichés, depuis 40 ans le territoire métropolitain est livré à une circulation automobile qui n’a jamais répondu de manière satisfaisante aux besoins des habitants tout en mettant en péril leur santé et le climat.
Il est urgent de changer de base à l’occasion de ce nouveau PDU. L’ère des grands projets inutiles touche à sa fin. L’enjeu présent est de concevoir de nouveaux aménagements qui favorisent les usages soutenables de la voirie au profit des transports en commun et des mobilités douces. Les pénétrantes et les rocades intra-urbaines telles qu’elles sont proposées par la carte suivante ne sont pas concevables sans remettre en cause la prédominance de la voiture individuelle et la circulation des poids lourds. Plutôt que de dilapider plus d’un milliard d’euros pour le contournement Est, il convient de réorienter les ressources vers des aménagements modernes et soutenables.
Il est absolument certain que nous serons vigilants à la mise en œuvre de ce PDU en nous efforçant de proposer des solutions innovantes dans l’intérêt durable des habitants et de l’environnement. Nous sommes disponibles pour participer aux dispositifs participatifs destinés à évaluer, suivre et enrichir les dispositions prévues initialement. Ainsi la fiche 15 nous invite à être optimiste malgré le constat plus que réservé que nous pouvons formuler au sujet du dossier soumis à enquête publique.
[2] http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/schema-regional-du-climat-de-l-air-a1353.html
[6] http://www.la-crea.fr/_fichiers/la-crea.fr/le_SCOT/CR4.pdf
http://www.la-crea.fr/files/publications/Demain_2030/2013-03-28_-_La_CREA_HD.pdf
[11] les personnels de l’OSCAR apprécieront : http://www.haute-normandie.developpement-durable.gouv.fr/observatoire-des-deplacements-sur-r430.html
[13] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Etalement-urbain-et.html ; http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=14&ref_id=17566 ; http://www.certu.fr/etalement-urbain-et-densification-a923.html ; http://www.rac-f.org/Etalement-urbain-et-changements.html
[14] https://www.tresor.economie.gouv.fr/file/326872 ; http://www.gate.cnrs.fr/perso/goffette-nagot/changement%20climatique_200910.pdf