Appel d’Effet de Serre toi-même pour une transition énergétique solidaire en Normandie
Alors que la Loi de transition énergétique pour la croissance verte n’est toujours pas finalisée, Effet de Serre-toi même ! présente son regard sur la transition énergétique. L’enjeu est bien entendu de faire face aux défis énergétiques et climatiques, mais la transition répond aussi à des objectifs sociaux et politiques. Voilà pourquoi nous revendiquons une transition solidaire et démocratique mise en oeuvre à l’échelle des territoires. Le modèle énergétique centralisé qui a été construit depuis la Libération donne aujourd’hui à voir ses limites. Les coûts explosent et la promesse d’une énergie abondante à bon marché s’évanouit.
Pour garantir à tous le service énergétique auquel chacun a droit, nous appelons de nos vœux une démarche à l’échelle régionale qui implique la constitution d’une Autorité organisatrice de l’énergie qui prenne en charge non seulement la distribution mais la production. C’est un enjeu des élections régionales qui auront lieu à la fin de l’année. Effet de Serre toi-même sera présent tout au long de la campagne pour informer le public et inviter les candidat(e)s à s’emparer de la problématique énergétique.
Notre première proposition est de constituer un mouvement normand en faveur de la transition qui produise une scénario de transition comme cela a été fait dans le Nord-Pas-de-Calais ou dans les Pays-de-la-Loire autour des dynamiques Virage énergie. D’autres solutions sont envisageables. Nous appelons le plus grand nombre à nous rejoindre pour porter ensemble des alternatives positives.
Energies et problématique énergétique
Nous retiendrons la définition de l’énergie telle qu’elle est présentée par le Ministère de l’environnement : «°L’énergie caractérise la capacité à fournir du travail, à donner du mouvement ou à élever la température. Elle est obtenue par la combustion de carburants ou de combustibles (pétrole, essence, gazole, fioul, gaz, charbon, bois, etc…), l’utilisation de l’électricité ou de forces naturelles comme le vent ou l’énergie solaire[1].°»
Il ne s’agit pas pour nous de restreindre l’acception de cette notion à un seul usage. Effet de Serre toi-même ! ambitionne d’informer et d’expliquer natures, usages, inconvénients et limites de toutes les énergies aujourd’hui existantes et effectivement utilisées.
Nous nous inspirons de la méthode définie par Amory Lovins en 1975 dans son œuvre majeure Stratégies énergétiques planétaires : les faits, les débats et les options[2]. Elle consiste à ne plus regarder la question énergétique comme relevant uniquement des conditions d’approvisionnements en produit énergétiques (l’offre) mais, tout autant, des conditions de la consommation et de l’utilisation de l’énergie (la demande). Ainsi est né le concept de «°maitrise de l’énergie°».
Ce nouveau paradigme énergétique popularisé en France par l’Association NégaWatt[3], consiste à concevoir le système énergétique comme englobant non seulement la production d’énergie mais également les différents types de consommation et à assurer sa capacité à garantir le meilleur «°service énergétique°» dans des conditions optimales en termes de ressources, d’émission de gaz à effet de serre, de coûts économiques et sociaux et de protection de l’environnement.
La démarche Négawatt propose ainsi une stratégie qui associe trois méthodes complémentaires pour faire face à l’urgence climatique avec le souci de la justice sociale :
- la sobriété énergétique qu’ils opposent à notre « ébriété » énergétique actuelle. Cela consiste à diminuer nos consommations en changeant nos pratiques et nos modes de vie. Il s’agit donc de démarches individuelles et collectives, de mutations culturelles qui vont s’installer progressivement et qui seront favorisés par l’augmentation inévitable du coût de l’énergie électrique.
- l’efficacité énergétique qui vise à réduire les pertes et les utilisations inutiles d’énergies. La diminution de nos consommations provient alors des mutations technologiques et de l’évolution des équipements. Elle dépendra surtout de notre capacité à faire évoluer les parcs d’appareils, de moyens de transports et de nos bâtiments.
- le recours croissant aux énergies renouvelables (ENR), par définition inépuisables permet alors en complément de la réduction de la consommation de remplacer progressivement les énergies du passé fossiles et fissiles.
Prioriser la sobriété énergétique
Inspiré par le scénario de transition proposé par Benjamin Dessus[4] et le scénario publié par l’Association Virage Energie Nord-Pas-de-Calais en septembre 2013[5], nous proposons de prioriser la «°sobriété énergétique°» sans pour autant négliger les nécessaires efforts à réaliser en termes d’efficacité et la mise en œuvre de solutions locales et coopératives de productions renouvelables (éolien, hydraulique, biomasse, etc.) quand cela s’avère nécessaire.
La fin des énergies fossiles : la fermeture de la raffinerie de Grand-Couronne a rappelé à chacun que l’industrie du pétrole est en crise. La ressource s’épuise alors que l’augmentation de la consommation en Asie entraîne une hausse tendancielle des prix. Ce phénomène a un nom : déplétion pétrolière. La fin du pétrole est inéluctable. Depuis 2010, la consommation croit plus vite que la production. D’ici 2020, les premières pénuries vont apparaître sans que les « pétroles non-conventionnels » n’apportent de solutions effectives.
Mais cela ne signifie pas pénurie d’énergie : L’énergie solaire qui illumine la Terre a d’abord pour fonction d’y maintenir la vie (à part le sel, tout ce que l’on mange vient de plantes ayant poussé grâce à la photosynthèse). Par contre, l’énergie solaire qui arrive sur des surfaces artificialisées (bâtiments, routes, voies ferrées, …) n’est pratiquement pas exploitée. En 2009, les surfaces artificialisées de France Métropolitaine occupaient 48 465 km². En 1 an, l’énergie solaire qui arrive sur ces surfaces représente 35 fois toute l’énergie qui y est consommée (chauffage, transports, industrie, …). Il y aura, certes, des problèmes techniques pour récupérer cette énergie, palier sa variabilité, … mais, dans l’ensemble, l’humanité ne va pas manquer d’énergie, bien au contraire !
Les techniques d’utilisation du gisement solaire en flux : Ce qui est essentiel, c’est le rendement de ces techniques et leur technologie. Avec la photosynthèse, la fabrication de biomasse fonctionne seule depuis des millions d’années mais nécessite beaucoup de surface, car elle a un rendement inférieur à 0,5 %. Le photovoltaïque a un rendement d’environ 15 %, mais cette technologie requiert du silicium épuré, du cuivre, de l’aluminium, des composants électroniques, … Le solaire thermique a un rendement d’environ 40 % mais nécessite du cuivre, du verre, de l’aluminium, de l’acier, divers composants électroniques, … Or, les ressources métalliques sont en quantités limitées et doivent être partagées par une exploitation maitrisée. La taille de ces gisements sera insuffisante à satisfaire le passage au soleil en flux de l’humanité. Il faut donc diminuer rapidement notre consommation d’énergie. La sobriété est un chemin privilégié pour cela.
Le risque nucléaire : s’en passer : Le changement climatique, qui peut s’avérer catastrophique, est dû pour une grande part à l’utilisation d’hydrocarbures. Pour ce qui concerne la production d’électricité, le recours à l’énergie nucléaire fait peser aux habitants riverains des centrales et même de la Terre des risques incommensurables. La transition énergétique du soleil en stock vers le soleil en flux doit donc se faire le plus vite possible. La sobriété est un moyen d’accélérer la transition vers le soleil en flux.
Trois axes principauxPuisque la meilleurs énergie est celle qu’on ne produit pas, l’ambition d’Effet de Serre toi-même ! est de populariser stratégies, moyens et techniques qui permettent d’entamer des démarches de «°descente énergétique[6]°» individuelles et collectives.
Comme le souligne clairement Benoit Thévard : «°Dans un modèle de société qui s’accroche à la croissance comme une moule à son rocher, l’efficacité énergétique devient l’alibi vertueux des politiciens et des industriels. L’efficacité énergétique est le levier des ingénieurs pour tenter de faire diminuer la consommation d’énergie. Concrètement, il s’agit de moyens techniques permettant d’obtenir le même bien ou le même service avec une moindre consommation d’énergie[7].°»
Aujourd’hui nos sociétés n’arrivent plus à faire progresser globalement l’efficacité énergétique. Malgré 40 années de progrès technologique, la consommation globale d’énergie augmente toujours. L’analyse d’Odyssee-Mure montre que les progrès en matière d’intensité énergétique en Europe diminuent, passant de -1,5 % par an entre 2000 et 2007 à -0,6 % par an depuis 2007[8]. Autrement dit, il y a de moins en moins de progrès dans ce domaine, contrairement à ce que l’on pourrait penser.
Les solutions efficients sont évidemment à trouver ailleurs. Faut-il encore identifier correctement les domaines qui permettent d’opérer une authentique «°décroissance°»des consommations mais aussi des usages. Pour cela un modèle s’impose à nous venu d’Outre-manche, la stratégie de «°résilience°», seule acception honorable du principe de «°transition°»[9].
«°La résilience d’un territoire est sa capacité à absorber des perturbations et à se réorganiser, de manière à ce qu’il puisse conserver les mêmes fonctions, la même structure, la même identité et les mêmes capacités de réaction (Walker, Holling, Carpenter, & Kinzig, 2004)[10].°» Effet de Serre toi-même ! propose de prioriser trois principaux axes pour donner à voir au plus grand nombre que non seulement une stratégie de «°résilience°» est nécessaire mais qu’elle est possible… sans se ruiner et à confort égal :
- Le premier de ces axes est l’habitat : au vu des consommations et des gaspillages observés aujourd’hui, l’habitat est le lieu qui peut être l’objet d’une démarche de sobriété si tant est que les particuliers aient accès aux bonnes informations, à des conseils avisés et à des ressources techniques et matérielles de qualité.
- Le deuxième axe est la mobilité : l’énergie est souvent réduite aux seules consommations d’électricité et de combustibles pour le chauffage. C’est une erreur. L’ambition du Groupe de travail «°Energies°» est d’inviter le public à réfléchir aux coûts énergétiques et climatique de l’usage de la voiture individuelle pour envisager d’autres modes de transport.
- Le troisième axe est la production solidaire voire autonome d’énergies renouvelables : sous la forme d’ateliers, le Groupe de Travail «°Energies°» propose que le public conçoive qu’il est possible de réaliser et mettre en œuvre des équipements énergétiques pour répondre à des besoins essentiels (ECS, électricité spécifique).
Vers un modèle énergétique solidaire
La capacité des populations à se mobiliser face à l’adversité et au changement bien plus que la technique facilitera la réussite d’une stratégie de transition énergétique solidaire. C’est ce qu’a compris Rob Hopkins qui a lancé le mouvement international de villes et territoires en transition. En partant du constat indiscutable de la crise économique, du pic pétrolier et des changements climatiques il déduit que les groupes humains peuvent s’organiser, se préparer à vivre des changements importants. L’anticipation des difficultés permettra de faire face aux effets conjoints de la déplétion des matières premières et de la crise climatiques avec moins de désagréments qu’en faisant les choix de la passivité et de l’inaction.
Suite à la parution du «°Transition Handbook°» en 2008[11], un véritable mouvement citoyen s’est ainsi propagé à travers le monde entier. De très nombreuses personnes ont trouvé le concept véritablement innovant, puisqu’il s’agit d’exprimer et de faire ce que l’on désire et pas uniquement de s’opposer à ce que l’on refuse. Elles trouvent alors une raison de converger, de s’écouter et de faire naître des projets communs dans les secteurs de l’alimentation, des transports, de l’énergie, de l’éducation, de l’habitat, des déchets, de l’art, etc. Ces projets sont autant de réponses locales à des défis d’ordre global.
Voilà pourquoi Effet de Serre toi-même ! est très attaché à ce que le secteur énergie du village des alternatives ne se résume pas à proposer des solutions individuelles. Les réponses locales peuvent être collectives comme le montre le projet de l’Association de préfiguration d’Enercoop Normandie ou le fonds d’investissement coopératif Energie partagée[12]. Les défis énergétiques sont une occasion de recréer du collectif et du lien social à l’image de ce qui se passe en Allemagne[13] et ailleurs.
Un mouvement de fond traverse aujourd’hui l’Europe comme le relève justement le Rosa Luxemburg Stiftung dans une brochure publié cet été[14]. En Normandie, il est aujourd’hui à l’état d’ébauche ou de projet. Nous appelons de nos vœux une dynamique citoyenne pour une réappropriation collective de l’enjeu énergétique. Ensembles, réunis en collectifs autonomes, des hommes et des femmes peuvent reprendre en main les choix énergétiques sans dépendre des pouvoirs publics ou d’intérêts privés. Cela peut passer par une infinité de formes et de dispositifs. La première d’entre elles serait la constitution d’un Collectif Virage Energie Normandie. D’autres consisteraient à former des groupements d’achats solidaires, de manière à favoriser l’émergence de filières courtes d’approvisionnements notamment de produits d’isolation de l’habitat, mais aussi des groupements de production.
[2] publié en France aux éditions Christian Bourgois
[5] http://www.virage-energie-npdc.org/IMG/pdf/Rapport_complet_Scenarios_sobriete_Virage-energie-NPDC_Ademe_sept2013_v2.pdf
[6] http://www.sciencesetavenir.fr/a-voir-a-faire/20140422.OBS4656/le-21e-siecle-sera-celui-de-la-descente-energetique.html
[7] http://www.avenir-sans-petrole.org/2014/06/baisse-de-la-consommation-d-energie-le-progres-technologique-ne-suffira-pas.html
[10] http://www.greens-efa.eu/fileadmin/dam/Documents/Events/03_04_2014_Towards_resilient_territories/PE-Resilience_web.pdf
[13] En Allemagne, ce sont les citoyens qui mènent la transition énergétique : http://www.reporterre.net/spip.php?article4717
La transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pas : http://www.reporterre.net/spip.php?article5818
[14] CONRAD KUNZE, SÖREN BECKER, Energy democracy in Europe, A survey and outlook,
http://rosalux-europa.info/userfiles/file/Energy-democracy-in-Europe.pdf